Conflit de générations, figure patriarcale et contemplation de la nature… Le premier film de India Donaldson, Good One, est d’une délicatesse inouïe. Rencontre
Il y a de ces premiers films qui nous portent, qui définissent (déjà) les lignes de conduite de cinéastes. Ici, la réalisatrice américaine India Donaldson réussi le pari, à la fois risqué et minimaliste, de filmer la relation père-fille comme rarement vu au cinéma. Le tout, dans un habillage naturaliste, dans les pas de Kelly Reichardt et Chantal Akerman.
Présenté à la Quinzaine des Cinéastes en mai dernier à Cannes, puis en Compétition lors de la dernière édition du Champs-Elysée Film Festival, Good One est une petite pépite du cinéma indépendant américain, qui s’imprime longuement sur la rétine ; racontant le voyage le temps d’un week-end, de Sam (Lily Collias), 17 ans, avec son son père Chris (James LeGros), dans la région des montagnes Catskills de l’Etat de New York. Un endroit calme qui abrite tant bien que mal les conflits familiaux, où Matt (Danny McCarthy), l’ami de toujours de Chris, est (hélas) également convié. Rencontre avec la cinéaste.
Good One est votre premier film. Depuis combien de temps travaillez-vous dessus ?
India Donaldson : Je crois que j’ai écrit les premières lignes du scénario en 2020, en plein pendant la pandémie. Depuis que je travaille dans le cinéma, j’ai toujours voulu tourner quelque chose au cœur de la nature. Durant le confinement, je vivais à la maison avec mon père et ma belle mère. En tant qu’adulte, c’était la première fois en 20 ans que je retournais à la maison ! C’était presque un retour en enfance forcé.
Ça a beaucoup influencé ma façon d’écrire et de concevoir ce film. Sur comment un environnement clôt pouvait faire ressortir les dynamiques familiales. Cela m’a aussi amené à réfléchir sur la vie à l’extérieur, la nature à l’état pur, les grands espaces. Comment cette nature accueille les relations humaines qui sont souvent refoulées et mal exprimées.
Sam, campée par Lily Collias, vous ressemble. Vous y avez inculqué des traits de personnalité communs, même si elle reste unique en son genre.
India Donaldson : Je me rappelle que nous avons casté Lily alors qu’elle n’avait que 17 ans. Or, on ne pouvait pas tourner avec une mineure, parce qu’aux États-Unis, cela coûte trop cher, il y a des règles à respecter, notamment sur le temps de travail – ce qui est normal. L’audition s’est en revanche tellement bien passée que nous sommes restées en contact jusqu’au tournage. Je voulais que ça soit Lily. Oui, je pense que son comportement est intimement lié à mon vécu, mais aussi à d’autres. Je crois que le personnage de Lily est quand même plus rebelle que moi ! *rires*
Issue d’une famille de huit enfants, India Donaldson a pu passer certains moments privilégiés avec son père, en faisant du camping ou des road-trip.
Good One raconte comment Sam est aussi une fille «bien». Bien élevée, pas trop embêtante et facile à vivre. Est-ce que c’est quelque chose que vous avez ressentie étant plus jeune ?
I.D. : Je pense qu’en effet, Sam reste assez conciliante, tout au long du film. Jusqu’au point de bascule. Quand j’étais ado, je me souviens aussi avoir voulu être cette «fille bien». Encore aujourd’hui, c’est un caractère qui me définit. Mais en revanche, je ne veux pas uniquement «genrer» ce trait de personnalité. Je voulais surtout montrer que cette pression familiale existe, que ce soit pour une jeune garçon ou une jeune fille. C’est davantage une histoire sur les rapports entre un enfant et son parent.
Le film, tourné dans cette jolie forêt dans l’État de New York, s’avère être très naturaliste d’un point de vue formel.
I.D. : Je pense que j’ai été intéressée par l’idée de filmer l’interaction entre la nature et l’humain. Dans le film, Lily et son père se parlent mais ne communiquent pas vraiment. C’est symptomatique du choc des générations, sur comment elles s’écoutent, ou pas, dans un moment intime, en pleine randonnée. Là où il n’y a plus aucune interférence, à part leurs consciences.
Le tournage s’est déroulé sur douze jours, majoritairement lors d’un trek dans le nord de l’État de New York.
Enfin, et ce n’est pas clairement dit dans le film, mais il semble que la personnalité de Sam, et notamment sa sexualité, sont les causes de conflits de d’incompréhension entre elle et les deux adultes, des hommes en l’occurence.
I.D. : Je voulais que ce film puisse montrer, de manière ni trop frontale, ni trop pudique, comment une jeune adolescente confronte son quotidien à deux hommes mûrs, qui représentent, même malgré eux, le patriarcat. Vous le verrez dans le film, mais ce fossé générationnel se ressent même dans les «petits» moments de vie, tels qu’un déjeuner dans un diner ou au coin du feu.
Tout au long du film, vous capturez la nature avec des longs plans, souvent fixe. Avez-vous déjà envisagé de tourner un documentaire ?
I.D. : Je n’y avais jamais vraiment pensé, mais je ne suis pas fermé à l’idée. Je voulais vraiment que ce film montre la nature dans l’état où on l’a trouvé pendant le tournage. J’aime l’idée qu’un film puisse être un «snapshot» d’un moment présent. Si on avait filmé deux mois avant, les choses auraient été différentes. J’étais intéressée de capturer ces moments, documenter la nature à cet instant précis, tout en faisant de la fiction autour. Cette foret existait avant et existera après, elle demeure indifférente du conflit entre les personnages.
On compare souvent Good One au travail de Kelly Reichardt (First Cow, Showing Up, River of Grass…). A raison ?
I.D. : J’adore ses films et je pense que mon approche en tant que cinéaste en est reliée, un peu de manière indirecte. J’ai souvent pensé à mes influences et à comment ne pas trop les intégrer dans mon film et rester humble. Par contre, je crois que j’ai tenté de garder ce sens de l’humour qui est subtilement distillé dans ses films.
Avez-vous déjà un second projet en tête ?
I.D. : J’ai quelques idées, mais je suis encore dans ce moment de contemplation du monde autour de moi. C’est une étape essentielle pour «maturer» les idées, les digérer et savoir comment en faire un scénario, puis un film.
Good One, réalisé par India Donaldson, en salles le mercredi 13 novembre 2024 (via New Story). Toutes les séances à retrouver par ici.
Merci au Champs-Elysée Film Festival et à Marie Queysanne pour l’organisation de cet entretien.
Samuel Regnard