«I wish we were four but three will do. »
[J’aurais souhaité qu’on soit quatre, mais trois fera l’affaire.]
Premier long-métrage de la réalisatrice américaine India Donaldson, Good One raconte le séjour de randonnée de trois New-Yorkaisdans les montagnes Catskill: Sam (une véritable découverte: Lily Collias), âgée de 17 ans, son père Christopher (James Le Gros) et le meilleur ami de ce dernier, Matt (Danny McCarthy). D’habitude, leurs randonnées se font à quatre, mais le divorce récent de Matt planant sur sa famille, son fils adolescent Dylan a décidé de ne pas venir. Voici le cocktail de ce huis clos: deux pères divorcés en crise de la quarantaine et une adolescente éperdument amoureuse (et ayant ses règles). Ça vous paraît comme un bon point de départ pour un séjour harmonieux dans la nature sauvage?
Je vis dans les Alpes et si je sais une chose c’est qu’il faut bien choisir ses compagnons de route.
Seule avec deux pères frustrés
«I wish we were four but three will do» [J’aurais souhaité qu’on soit quatre, mais trois fera l’affaire], soupire Matt avant de prendre la première bouchée du burger, le dernier que le trio savourera avant de se contenter de la nourriture de camping monotone.
Dès le début du séjour, on le sent frustré – tout comme le père de Sam qui a du mal à prendre ses distances de ses obligations de travail. Heureusement que, au fur à mesure de leur marche, la connexion devient de plus en plus faible et avec elle le cellulaire s’endort. Enfin.
L’extravagance de l’un, le minimalisme de l’autre
Mais ce qui ne s’endort pas c’est la tension entre les deux hommes. Ils ont beau faire des blagues, échanger sur leurs mariages, tous les deux échoués, se montrer nostalgiques face à la distanciation de leurs ados, on ressent que, sans son fils, Matt se sent exclu de la complicité de Chris et sa fille. Les deux partagent beaucoup d’expérience de randonnée commune, tandis que Matt ne sait même pas quoi mettre (ou ne surtout pas mettre!) dans son sac à dos devenu trop lourd à force d’y fourrer des objets dispensables comme un rasoir électrique, un bouquin, de l’alcool – pour, en fin de compte, oublier l’essentiel: le sac de couchage. Pour Chris, ayant minutieusement planifié son bagage, ces objets constituent des commodités inutiles, des «extravagances». Sam, de son côté, sentant le chagrin de Matt, a plus de compréhension pour luiqui a apporté un livre pour des nuits sans sommeil – encore un objet que Chris élimine froidement:
– Matt: «I’m not gonna twiddle my thumbs at night.» [Je ne vais pas tourner les pouces la nuit.]
– Sam: «I brought playing cards.» [J’ai apporté des cartes à jouer.]
– Chris: «Another extravagance I don’t approve of. » [Encore une extravagance que je n’approuve pas.]
Réconcilie les deux extrêmes: la fille
On aurait pu s’attendre à autre chose – et le comportement de Sam au tout début du film laissait présager une telle situation. L’adolescente qui aurait eu suffisamment de raisons pour être de mauvaise humeur – la constellation du voyage, ses règles, la distance de sa copine Jessie – se montre dès leur arrivée dans les montagnes très conciliante, diplomate et serviable. C’est elle, la «good one», l’enfant facile.
Sans un mot de contestation et sans que la répartition des tâches ne soit articulée, c’est elle qui s’occupe d’emblée des corvées autour du camping: elle étend le linge, prépare des repas simples, mais délicieux et nettoie les bols après leur usage. Finalement, elle reste à l’écoute des hommes, leur offre son empathie et leur donne des conseils – ce qui amène père et ami à souligner avec surprise la maturité et la sagesse de la mineure. Une maturité dont Matt abuse lorsque, seul avec Sam, il l’approche de manière inappropriée; une maturité que son père ne reconnaît pas lorsque sa fille vient se confier à lui…
La nature intacte et éblouissante des Appalaches réussira-t-elle à sauver une situation qui a si subtilement dérapée? Allez le découvrir vous-mêmes!
Subtil, intelligent, réussi
India Donaldson maîtrise l’art de faire des films: elle a choisi des acteurs qui incarnent avec conviction et une authenticité époustouflante leurs personnages, sa caméra reste tout près de Sam et de son visage et capte à merveille son jeu nuancé. À ceci s’ajoute une ambiance sonore mystique et douce qui laisse croire au spectateur que le trio s’intégrera parfaitement dans l’harmonie paisible de la nature et de ses habitants – mais ce ne sera qu’un mirage…
Quelle subtilité, quel film réussi!
Bande-annonce