Chris Blackwell. La Jamaïque en mode rasta chic (2024)

Voyage

Chris Blackwell. La Jamaïque en mode rasta chic (1)

Par Isabelle Léouffre

Le producteur de Bob Marley nous livre ses adresses secrètes. Il a fait découvrir le pape du reggae, et Keith Richards est son voisin. Sa famille est enracinée depuis plus de deux siècles sur l’île et il en préserve l’héritage à travers les plus beaux hôtels de charme. Des vacances de luxe au pays du roots ! Rencontre.

Dans l’échoppe mal repeinte du coiffeur d’Oracabessa, village du nord de la Jamaïque, l’homme de 75 ans attend tranquillement que son tour arrive. Coquet, il aime venir ici faire tailler sa barbe blanche. Moment ordinaire pour un homme hors du commun. Qui peut en effet imaginer que ce touriste en short et tee-shirt est Chris Blackwell, le fondateur de la maison de disques Island Records, un label qui a fait connaître Bob Marley dans le monde entier et produit, entre autres, U2, Roxy Music et les Cranberries ? Qui sait que ce découvreur de talents a racheté GoldenEye, la maison de Ian Fleming où le prolifique auteur anglais a écrit toutes les aventures de James Bond, qu’il en a fait un hôtel confidentiel, prisé par Bill Clinton, Kate Moss et tant d’autres célébrités ? Discret, l’homme se livre peu – même s’il glisse qu’il fut en couple avec Nathalie Delon pendant quinze ans. Mais son amour pour la Jamaïque et son respect pour ses habitants transparaissent dans les propos de ce descendant d’une famille de planteurs. Il est 9 heures du matin à GoldenEye. La mer est turquoise, le soleil déjà haut, Marley chante en sourdine pendant que Chris Blackwell se raconte en dégustant avec gourmandise son petit déjeuner, des oeufs au plat sur lit d’épinards légèrement pimentés.

Paris Match. Quel est le lien entre vos trois hôtels, Strawberry Hill, GoldenEye et The Caves, rassemblés sous le label Island Outpost ?
Chris Blackwell. Sans doute la splendeur des lieux où ils sont nichés. Lors d’un séjour sur l’île, nous proposons au visiteur d’aller sur ces différents sites, ce qui lui donnera une véritable idée de la Jamaïque, aussi riche par son histoire que par sa nature. Tout autour, il pourra trouver des marchés dans les villages où les gens sont assis à même le sol, ce qui lui permettra d’aller à leur rencontre car ils méritent d’être connus. Il ira aussi facilement se baigner dans nos divines cascades… Ces hôtels sont des maisons de charme ou de luxe où l’on se sent bien avec un service de qualité.

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Après avoir vendu Island Records en 1989, vous êtes allé à Miami dans les années 90 pour rénover certains hôtels années 30 de Miami Beach. Puis, lassé par le tourisme de masse, vous êtes revenu sur votre île. Quel rapport existe-t-il entre l’hôtellerie et la musique ?
Dans le business de la musique, lorsqu’on a trouvé un excellent son, on doit faire d’excellents disques. Je vais dans ce sens avec mes hôtels. Il faut se surpasser pour que les gens ne soient pas déçus. Je ne leur donne pas une leçon d’architecture. Je veux qu’ils apprécient leur confort, je souhaite que les toilettes et les douches fonctionnent. Rien de trop élégant, juste de la simplicité et du bien-être.

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Comment décririez-vous ces hôtels ?
Strawberry Hill, une paisible maison de planteurs dans le style géorgien, est au coeur des Blue Mountains, les plus hautes des Caraïbes, qui surplombent Kingston, la capitale. Mythiques, elles sont renommées pour leur café. GoldenEye est la retraite créative de Ian Fleming. Il est venu ici pour se relaxer et écrire. J’ai loué la maison à la fin des années 70 pour m’y reposer. C’est un endroit qui procure une grande inspiration. Et The Caves (« cavernes ») est le meilleur endroit pour nager. Ce n’est pas dangereux. La majeure partie de l’île est volcanique, là-bas elle est corallienne. L’eau est claire et turquoise. Ces hôtels sont pour moi un investissement émotionnel que je veux faire partager.

“GoldenEye : la retraite de Ian Fleming où est né James Bond”

Parlez-nous de Ian Fleming.
Il m’a donné le job d’assistant sur le plateau du tournage de “Dr. N o” en 1961. Comme les Anglais, il avait une distance naturelle mais il n’était pas snob. Il était surtout très drôle. Ma mère et lui sont devenus amis car ils aimaient nager et plonger ensemble. On a souvent dit que ma mère avait été sa muse. [Ursula Andress qui sort de l’eau dans “Dr. No”.]

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Est-ce que vos hôtels expriment votre philosophie de la vie ?
J’aime profondément la Jamaïque. Je suis né en Angleterre et j’y suis arrivé à l’âge de 6 mois avec ma mère qui est jamaïcaine et fait partie des vingt et une familles qui contrôlaient l’île au XX e siècle. Ma philosophie est d’essayer d’ouvrir ce pays au monde, d’encourager les gens à se mélanger avec les habitants dans les bars et les restaurants pour mieux découvrir leur mode de vie, leur culture, leur musique. Ils ont seulement quarante ans de musique derrière eux. Mais où que vous soyez dans le monde, vous écoutez la musique anglaise, américaine et jamaïcaine. C’est fou ce qu’une si petite île peut produire comme son ! Bref, ces hôtels véhiculent un héritage et, pour qu’il dure, il faut savoir penser à long terme.

Vous sentez-vous proche des rastas ?
Comme eux, je crois aux bienfaits de la nature et je suis contre toute chimie. Vous les avez côtoyés pour la première fois à 20 ans. Ce fut une révélation ? J’étais en train de longer la côte sud de l’île quand j’ai fait naufrage. J’ai nagé jusqu’à une plage où je suis arrivé exténué. A cette époque, dans les années 50, les Blancs et les Noirs vivaient séparément. Il y avait cette peur des rastas véhiculée par la presse : ils étaient considérés comme des criminels car ils vivaient en marge du système. Quand j’ai vu cet homme avec ses longs cheveux noirs penché sur moi, j’ai pris peur. Mais il m’a apporté de l’eau ; il était si gentil que je lui ai demandé si je pouvais rester pour me reposer. Quand je me suis réveillé, il y en avait sept autour de moi. Ils lisaient l’Ancien Testament pour aider à ma guérison. Puis ils m’ont ramené dans un petit village de pêcheurs. J’ai ensuite raconté mon aventure à mes proches pour qu’ils changent de regard sur eux.

Quelle a été votre relation avec le plus connu d’entre eux, Bob Marley ?
Avec lui, tout tournait autour du travail. J’ai donné une direction à sa carrière qui piétinait, celle de le positionner parmi les charts des Noirs américains qui cartonnaient dans les années 70. Il avait confiance en mon jugement. Nous n’avions pas une relation spirituelle mais humaine. Nous n’avons jamais eu de malentendus, nous étions simplement amis. D’un autre côté, à part une exception, je ne suis jamais allé dans une fête ou au restaurant avec lui. Seule la musique nous reliait. Bob Marley était pacifique, doux. Il ne se prenait pas pour une star. Très professionnel, il n’était jamais en retard. Une très bonne association, l’une des meilleures de ma vie.

Avec Grace Jones, jamaïcaine elle aussi. Vous êtes aussi très proche de Keith Richards qui a sa maison non loin de Goldeneye, à Ocho Rios.
C’est un excellent ami. Nous nous sommes fâchés une seule fois, quand il m’a demandé ce que je pensais de son souhait de faire une carrière solo. Je lui ai alors demandé qui allait chanter… Il s’est vexé, mais ça n’a pas duré. Pour moi, c’est le meilleur guitariste vivant. Et, comme moi, il aime les rastas.

Vous définiriez-vous comme un visionnaire ?
Etre visionnaire n’est pas bon pour les financiers car c’est associé au risque. Non, je me définis comme un entrepreneur. Comme le disait Bob Marley, je ne suis pas un producteur mais un traducteur. J’aime beaucoup cette description.

La feuille de route de Chris Blackwell

« Welcome to paradise ! »

C’est ainsi que David, le guide rasta, accueille le visiteur venu respirer l’air pur des montagnes bleues et se reposer à Strawberry Hill. A une heure de Kingston, la capitale bruyante et polluée de la Jamaïque, l’ancienne maison de planteurs de café, aujourd’hui dédiée à la musique si chère à Chris Blackwell, est connue pour son brunch dominical. Mais aussi pour son environnement naturel. Avec David, une plongée dans la forêt tropicale s’impose. Après avoir longé une rivière tout en écoutant le chant des oiseaux, la cascade apparaît et c’est le moment de s’y délasser. Puis on découvre le village pittoresque de Gordon Town pour boire une bière au bar le Peyton Place. Le lendemain, départ en voiture pour la visite de la dernière maison de Bob Marley à Kingston, suivie d’un déjeuner de fruits de mer chez Gloria’s.

Retour à Kingston, à Coronation Market, le pouls de cette ville qui bruisse de mille sons, « où les prix sont raisonnables et l’expérience unique », précise Blackwell. Conduire la nuit de Kingston à la côte nord n’est pas recommandé : les directions sont rares, des minibus zigzaguent. Même si, après deux heures périlleuses, l’éden est au bout du chemin. GoldenEye. Un drapeau indique l’entrée de la propriété et son parc d’arbres tropicaux plantés par tous les beautiful people venus ici. L’idéal est de boire un rhum de la plantation Blackwell au Bizot Bar, puis de s’allonger sur la plage de Ian Fleming pour faire partie, quelques instants, de l’un de ses James Bond… Bien mieux que les Dunn’s River Falls d’Ocho Rios, la bourgade voisine ! Depuis que « D r. N o » a été tourné sur l’île, les cascades en pente douce qu’escaladent Sean Connery et Ursula Andress sont prises d’assaut par les touristes. Mais le lieu reste mythique.

La mère de Chris a inspiré le personnage d’Ursula Andress dans “Dr. No”

Tout autant que l’hôtel Jamaica Inn. Churchill et son épouse y sont venus souvent, dans la « suite blanche » et sa terrasse surplombant la mer des Caraïbes qui lui inspirait ses nombreux tableaux. John, Jackie Kennedy et sa soeur Lee y venaient aussi… Avant de quitter ce coin féerique, Chris Blackwell recommande la vue « la plus spectaculaire de l’île » entre Oracabessa et Port Maria. « U ne ville qui n’a pas changé depuis le XVIIIe siècle », explique-t-il. Le panorama sur la mer se situe sur le terrain du célèbre dramaturge anglais Noel Coward, ami de Fleming, avec qui la reine mère est venue partager un déjeuner frugal.

La route file vers l’ouest jusqu’à Negril et ses alentours roots. Dans les années 70, les hippies ont transformé ce village planté de cabanes en lieu branché, en particulier le long de sa plage où se sont installées des guesthouses bon marché. Le soir, des concerts de reggae prolongent la fête. Mais c’est le long des falaises que l’on sent vibrer la terre jamaïcaine. Arrivé à l’hôtel The Caves, on perçoit un grand silence malgré les remous de la mer. Et on se dit en secret que le guide avait raison : « Bienvenue au paradis ! »

Chris Blackwell. La Jamaïque en mode rasta chic (2024)
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Author: Zonia Mosciski DO

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